Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Vers une troisième révolution industrielle ?

Un dossier stimulant paru en Octobre 2014 – mais toujours d’actualité – dans l’hebdomadaire britannique The Economist revient sur le débat qui agite le monde de l’économie autour de l’existence d’une révolution numérique qui succéderait aux deux grandes révolutions industrielles intervenues au 20ème siècle (électricité,…) et au 19ème siècle (machines à vapeur,…).


Menés par Robert Gordon, un cercle de plus en plus large d’économistes convient que la révolution numérique annoncée ne serait qu’un feu de paille dans la mesure où son impact sur la productivité serait très réduit, ne générant de fait qu’une croissance économique condamnée à être faible comme on l’observe dans les pays développés depuis la fin des années 2000. Il faudrait donc se faire à l’idée d’une « stagnation séculaire de la croissance économique » puisque l’humain ne serait plus en mesure de mettre en œuvre des innovations suffisamment importantes pour impulser une dynamique vigoureuse permettant à la fois une hausse de la productivité (et spécifiquement de la productivité globale des facteurs, désignant l’amélioration de l’efficacité des facteurs de production) et de la croissance. Le meilleur argument de ces économistes fait référence au célèbre « paradoxe de Solow » datant de la fin des années 1980 et pouvant être formulé ainsi : on observerait une révolution numérique absolument partout autour de nous avec le développement des outils numériques… sauf dans les statistiques de productivité ! Autrement dit, l’introduction des outils numériques dans le monde du travail n’engendrerait pas de gains de productivité visibles. Un sacré pavé hétérodoxe dans la mare libérale !


Néanmoins, des voix discordantes se font entendre pour nourrir le débat autour d’une possible révolution numérique. D’abord, Erik Bryjnolfsson (à vos souhaits !) et Andrew Mac Affee font appel à l’histoire économique pour montrer que lors des deux précédentes révolutions industrielles majeures, les effets en terme de productivité ont mis du temps avant de se faire ressentir ; on ne serait donc encore qu’au début du processus de la révolution numérique, et il faudrait s’armer de patience avant d’en voir toutes les potentialités se manifester dans les chiffres de la productivité. Ensuite, une étude menée par John Fernald sur la décennie 2000 a démontré que la croissance de la productivité américaine était principalement le fait des entreprises numériques et de celles utilisant intensément les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). On serait donc à l’aube de la résolution du paradoxe identifié par Solow : l'application des TIC (au secteur tertiaire notamment) commencerait à donner des résultats en termes de productivité. Par exemple, le développement des cours en ligne destinés aux étudiants permet une hausse de la productivité, puisqu’un professeur peut accomplir le travail auparavant réalisé par une multitude de ses collègues.


Si l’on suit ces analyses, on connaîtrait donc une tendance lourde qui verrait progressivement s’imposer les outils numériques comme des facteurs incontournables de gains de productivité. Mais ce constat soulève une autre question traitée dans le dossier réalisé par l’hebdomadaire britannique : quel va être l’effet de cette productivité numérique sur le travail humain ? Plus précisément, est-ce que l'introduction des outils numériques dans le domaine du travail va engendrer une modification de la structure de l’emploi des pays développés ? Le premier constat général que l’on peut dresser est que la part de la valeur ajoutée consacrée au travail dans les pays développés diminue continuellement depuis les années 1980, pour se fixer aux alentours de 50% aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en Suède par exemple. On peut en déduire que l’introduction des TIC dans le monde du travail, parmi d'autres explications, a considérablement desservi les travailleurs et, plus précisément, les travailleurs dont le remplacement par du capital technologique est facile et rentable. On observe justement depuis la fin des années 1980 une modification considérable dans le profil des travailleurs recherchés par les entreprises : les travailleurs très qualifiés, dont les emplois requièrent réflexion et expérimentation ce qui ne les rend pas automatisables, sont de plus en plus recherchés. La demande de travailleurs peu qualifiés augmente également, quoi que moins rapidement, car il s’agit d’une main d’œuvre à laquelle les entreprises peuvent faire appel pour un faible coût puisque la concurrence sur ce segment de travailleurs est très importante et mondialisée, tirant les salaires vers le bas et rendant non rentable le recours à l’automatisation. De plus, certaines tâches manuelles complexes, comme le nettoyage des bureaux ou la conduite de camions est difficilement automatisable. La demande de travailleurs se situant entre ces deux profils est celle qui est la plus pénalisée par l’introduction des outils numériques : cela concerne des emplois dont les tâches, manuelles ou cognitives, sont routinières et facilement remplaçables par des outils numériques (comme bibliothécaire ou assembleur dans une chaîne de montage).


A l’issue de la lecture de ce dossier, deux enseignements à retenir : le premier est que la tendance observée dans la croissance de la productivité laisse penser que le paradoxe de Solow peut être remis en question ; les TIC commencent à peser dans la productivité au fur et à mesure de leur développement, de leur diffusion et de leur application au domaine du travail. Le second est que la diffusion des TIC va considérablement bouleverser la structure des emplois ; si la création d’emplois très qualifiés et très peu qualifiés restera solide, le mouvement de destruction des emplois intermédiaires risque d’être important.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article