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Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Réformer l’Etat #4 : Pour un Etat social-écologique

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, réformer l’Etat ne consiste pas forcément à remettre en question son rôle dans l’économie, mais bien davantage à en repenser la forme et les objectifs. Dans cette perspective, un ouvrage récent d’Eloi Laurent interpelle sur la nécessité d’une meilleure prise en considération du facteur environnemental par l’Etat (Le bel avenir de l’Etat Providence, Les Liens qui Libèrent, 2014, 152p.).

L’auteur ne remet pas un instant en question la logique de l’Etat-Providence, et revendique même l’idée qu’il est indispensable de le « protéger parce qu’il nous protège ». En effet, Laurent rappelle que l’Etat-Providence a été pensé comme une protection contre les vulnérabilités sociales liées à la « première mondialisation » ; de sorte que la mondialisation a indirectement conduit à la mise en place de protections sociales, ce qui démontre que le développement d’une économie de marché n’est pas incompatible avec le renforcement des droits sociaux. Au contraire, la prise d’initiative est facilitée et encouragée par le fait que l’Etat Providence prévoit des protections collectives contre les « échecs » individuels.

Aussi, si l’Etat a fait ses preuves dans la prise en charge de risques sociaux tels que la maladie, la vieillesse ou encore le chômage, il est un domaine où son intervention reste minimale alors même que les risques qui y surgissent ne font que s’accroître : l’environnement. Or, constate l’auteur, l’Etat apparaît d’autant plus légitime à intervenir dans ce secteur que le marché se révèle défaillant dans l’assurance contre les risques environnementaux du fait de leur caractère singulier. Les risques environnementaux peuvent par exemple avoir une gravité très variable en fonction des catastrophes naturelles, ce qui rend l’anticipation des coûts d’assurance très aléatoire ; de même, certaines zones géographiques sont plus exposées que d’autres ce qui peut engendrer des coûts très élevés pour les populations qui résident dans ces zones. La difficulté à anticiper la gravité du risque et à le répartir entre les assurés constitue un problème pour des assureurs privés dont la logique lucrative peut conduire à pratiquer des coûts d’assurance dissuasifs ou à proposer des services incomplets ou inefficaces aux citoyens.

Pour contrer cette défaillance de la prise en charge des risques environnementaux par le marché, Laurent préconise donc le recours à l’Etat en respectant les trois fonctions classiques qui lui sont attribuées dans la gestion des risques sociaux. Premièrement, une fonction d’allocation qui doit permettre de faire face aux problèmes d’information imparfaite et de prévision des risques environnementaux en anticipant leur coût « caché », notamment les coûts en matière de santé publique (coût de la prise en charge des cancers liés à la diffusion d’un nuage de fumée atomique par exemple) qui sont des externalités négatives ignorées par le marché.

Deuxièmement, une fonction de répartition qui aurait pour but d’assurer une logique de solidarité entre les victimes des catastrophes naturelles et ceux qui en seraient épargnés. Cette solidarité devrait être sociale puisque les risques environnementaux ont tendance à pénaliser davantage les ménages modestes dont les habitations sont moins robustes pour faire face aux catastrophes naturelles et qui sont également ceux qui occupent les emplois les plus exposés aux produits chimiques néfastes pour la santé ; mais elle devrait aussi être géographique afin d’organiser des transferts d’argent entre les régions peu touchées par ces risques et celles qui y sont le plus exposées. Cette logique de solidarité assurantielle, sur le modèle de la protection sociale existante, permettrait ainsi de faire face aux inégalités de prise en charge du modèle d'assurance privée.

Enfin, la dernière fonction que pourrait remplir cet « Etat social-écologique » serait une fonction de stabilisation consistant à prévoir des moyens à disposition des acteurs économiques devant faire face à des chocs écologiques, afin de préserver leur bien-être. La mise en place de ces « stabilisateurs automatiques » en matière écologique pourrait prendre la forme de « prêts catastrophes », d’aides financières à prêt préférentiel ou encore d’une garantie publique pour les victimes devant souscrire un crédit exceptionnel. De cette façon, l’Etat ferait en sorte que des victimes d’une catastrophe naturelle ne puissent se retrouver en difficulté financière du fait d’une perte de revenu liée à un arrêt d’activité, ou encore de la souscription contrainte d’un emprunt à des conditions désavantageuses pour réparer les dégâts causés.

En élargissant le périmètre de l’Etat à la gestion des risques environnementaux, l’enjeu serait donc double : 1) permettre une amélioration environnementale en assurant une meilleure prévention et, en dernier recours, une prise en charge plus efficace des externalités négatives en lien avec ce type de risques. 2) lutter contre la double peine subie par les populations les plus modestes qui sont à la fois celles étant les plus exposées aux risques environnementaux et par conséquent celles qui doivent en payer le plus lourd tribut. La mise en œuvre de cet Etat social-écologique, sans renier les principes fondateurs de l’Etat providence, lui permettrait d’entrer pleinement dans la modernité en luttant contre les nouveaux maux du 21ème siècle.

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