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Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Les racines du multiplicateur keynésien

Un ouvrage passionnant composé d’articles et de conférences données par le célèbre économiste John M. Keynes juste après la Grande Dépression des années 1930 aux Etats-Unis (La pauvreté dans l’abondance, Gallimard/Tel, 290 p.) permet de remonter aux origines de l’effet multiplicateur dont il fut le principal concepteur, et de mieux comprendre les raisons pour lesquelles il accorde autant d’importance à la contribution de l’investissement dans l’évolution de la croissance économique.

La démonstration de Keynes est limpide et part d’un constat simple : au sein d’une économie, les entreprises distribuent, suite au processus de production, des revenus qui vont être utilisés par les acteurs économiques (ménages, entreprises, Etat) soit pour consommer, soit pour épargner. Aussi, le coût de production des entreprises au niveau d’une économie (Cp) correspond à l’ensemble des revenus perçus par la collectivité, donc de l’ensemble de ses dépenses de consommation (C) auxquelles il faut ajouter l’ensemble de son épargne (S). On parvient alors à une première donnée selon laquelle Cp = C + S.

Dans le même temps, il est important de comprendre que les revenus distribués par les entreprises leur reviennent en partie sous la forme des dépenses de consommation réalisées par les ménages d’une part, et sous la forme des dépenses d’investissement (I) permises par la distribution de crédits bancaires, ou encore par l’émission d’actions et d’obligations sur les marchés financiers. De sorte que les recettes des entreprises (R) correspondent à la somme des dépenses de consommation et des dépenses d’investissement qui leur sont adressées par les acteurs économiques. On parvient donc à une deuxième donnée selon laquelle R = C + I.

Keynes continue son raisonnement en énonçant une idée simple : pour que les entreprises réalisent du profit, il est indispensable que leur coût de production soit inférieur à leur recette (Cp < R). Or, pour que cette situation puisse se réaliser, il faut obligatoirement que les dépenses d’investissement soient supérieures à l’épargne de la collectivité. Réciproquement, si l’épargne globale est supérieure aux dépenses d’investissement, alors les entreprises vont connaître des pertes. On peut résumer cette idée de la façon suivante :

Cp = C + S

   R = C + I

Une entreprise réalise un profit si R > Cp ; pour cela, il faut donc que I > S (puisque C = C).

Une entreprise réalise une perte si Cp > R ; pour cela, il faut donc que S > I.

Cette démonstration permet alors à Keynes d’exposer le mécanisme du multiplicateur : en effet, si l’investissement est supérieur à l’épargne, cela signifie que les entreprises réalisent du profit. Si les entreprises réalisent du profit, alors leur accès au crédit va être facilité du fait de leur bonne situation financière. Or, si l’accès au crédit est facilité, alors les dépenses de consommation et d’investissement vont être stimulées par de faibles taux d’intérêt, ce qui risque en retour de faire baisser le niveau d’épargne de la collectivité. Et si les dépenses d’investissement augmentent tandis que le niveau d’épargne baisse, alors cela signifie que les profits augmentent. On retrouve ici le caractère cumulatif du multiplicateur keynésien.

Mais Keynes souligne bien entendu que ce multiplicateur peut donc être à l’origine des crises économiques et des récessions lorsque son action est négative : si les investissements sont inférieurs au niveau d’épargne, les entreprises réalisent des pertes. Cette situation dégradée rend leur accès au crédit plus difficile matérialisé par une hausse des taux d’intérêt, ce qui va peser sur les dépenses de consommation et d’investissement et au contraire stimuler les comportements d’épargne. Or, si les dépenses d’investissements faiblissent et que le niveau d’épargne augmente, cela signifie que les pertes des entreprises vont s’accroître ce qui peut les conduire à une faillite certaine. On se trouve alors à l’orée d’une crise économique pouvant se commuer en récession si le niveau d’investissements reste durablement plus faible que le niveau d’épargne. 

Elaborée pour comprendre l’ampleur de la récession connue au début des années 1930, la théorie du multiplicateur keynésien reste d’une étonnante actualité et a été curieusement mise de côté par la majorité des économistes au moment de comprendre la récession mondiale intervenue suite à la crise des subprimes. Si la théorie énoncée par Keynes connaît, comme toute théorie, des aspects n’ayant pas toujours été validés empiriquement, il serait dommage de « jeter le bébé avec l’eau du bain » : comprenez par-là que le mécanisme du multiplicateur identifié par Keynes reste trop souvent passé sous silence pour des raisons idéologiques, quand bien même il contient des éléments de réflexion très pertinents pour penser la dernière grande crise économique mondiale. Mais aussi pour décrypter les effets économiques dévastateurs des plans d’austérité qui compriment le niveau d’investissement des pays auxquels ils sont appliqués, contribuant à les enfermer dans une situation de dépression économique.

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