Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

La faute à « Bruxelles » ?

Comme l’a encore démontrée la campagne présidentielle, une fraction de la classe politique française n’a pas de mots assez durs envers « Bruxelles » et ses institutions. Elles incarneraient une négation de la démocratie, tant elles contraindraient les pays membres de l’Union Européenne (UE) à adopter des règles élaborées en dehors de leur contrôle et du principe de souveraineté nationale. A lire la chronique de Cécile Ducourtieux parue dans le quotidien Le Monde daté du jeudi 20 avril dernier,  la dénonciation de « Bruxelles » par les Etats-membres de l’UE a surtout pour objectif de passer sous silence leur rôle déterminant dans la prise de décision au niveau européen.

D’abord, quelle réalité se cache derrière l’appellation « Bruxelles » ? Ceux qui l’emploient désignent souvent par ce terme la Commission Européenne qui dispose du pouvoir de proposer des législations au niveau de l’Union, de faire respecter les traités européens ou de sanctionner les abus dans le domaine de la concurrence notamment. Si l’on peut regretter le caractère doctrinal des positions économiques de cette institution (on peut lire à ce sujet : http://arcachonses.over-blog.com/2016/04/aux-origines-de-la-rigueur-budgetaire-europeenne-l-ordo-liberalisme.html), il est néanmoins parfaitement inexact de proclamer qu’elle détient à elle seule le pouvoir exécutif au sein de l’UE ; en effet, l’exécutif européen est bicéphal (« à deux têtes »), puisque si la Commission peut être force de proposition, ses décisions ne peuvent être validées sans l’accord du Conseil Européen. Or, qui retrouve-t-on dans ce Conseil ? Les présidents et chefs de gouvernements des Etats-membres qui sont donc parties prenantes des décisions entérinées à « Bruxelles ».

Il est donc commode pour les gouvernements nationaux de reporter sur « Bruxelles » les conséquences néfastes de décisions auxquelles ils ont pourtant participé. Les critères de convergence en matière de déficit ou de dette publics sont fortement critiqués par les pays membres qui y voient là une forme d’ingérence de la Commission Européenne dans la définition de leur budget ; pourtant, la Commission Européenne n’émet que des recommandations sur ces critères (feu vert, mise sous surveillance ou demande de nouvelles mesures d’économies) ensuite validées au niveau de l’Ecofin, la réunion des ministres des finances de l’UE, qui a donc le dernier mot. De même, les mesures d’austérité imposées à la Grèce depuis sept ans ont toutes été validées par l’Eurogroupe, c’est-à-dire la réunion des ministres des finances de la Zone Euro. Aussi, faire croire que l’on ne dispose pas de moyens politiques pour « contrer » les recommandations de la Commission Européenne est pour le moins abusif, mais cela permet aux gouvernements de pouvoir faire appliquer des mesures économiques impopulaires tout en se déresponsabilisant de leur mise en œuvre.

Cette posture de la part des pays membres de l’UE est d’autant plus pernicieuse qu’elle dissimule le fait que le manque de coordination en matière de politique économique est lié à leur positionnement nationaliste sur les questions d’harmonisation européenne. Ainsi, lorsque Marianne Thyssen, la commissaire belge aux affaires sociales, propose en mars 2016 une révision de la directive sur les travailleurs détachés (en vigueur depuis 1996) afin de permettre une harmonisation de la rémunération de tous les travailleurs sur un même chantier, c’est une dizaine de gouvernements de l’Est de l’Europe qui bloquent cette proposition – qui doit être adoptée à l’unanimité. Cette mesure visant à lutter contre le dumping social, à savoir le fait de maintenir le niveau de salaire inférieur à la moyenne de celui des pays de l’UE pour bénéficier d’un avantage comparatif, est donc en passe d’être abandonnée face à la prédominance des intérêts nationalistes sur l’intérêt européen. De même, la Commission émet depuis deux ans des propositions de loi pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales : elles se heurtent à l’hostilité des gouvernements irlandais et luxembourgeois qui font du dumping fiscal une source d’attractivité pour leur territoire. On anticipe déjà les réactions offusquées de certains pays face à la proposition de Marianne Thyssen (encore elle) d’instaurer un salaire minimum dans l’ensemble des pays de l’UE…

En entretenant l’ambiguïté sur la réalité de la prise de décision au niveau européen, les pays membres nient leur capacité de résistance politique face à la Commission Européenne, et dissimulent leurs stratégies de non-coopération qui empêchent une convergence plus affirmée des politiques économiques et sociales au sein de l’Union. Depuis sa prise de fonction, Emmanuel Macron fait preuve de volontarisme pour montrer l’attachement de la France à l’UE : sa visite à la chancelière allemande Angela Merkel démontre son désir de remettre la France et l’Allemagne au cœur du processus décisionnel. Mais n’est-ce pas là signer définitivement la prise de pouvoir du Conseil Européen, et de ses intérêts nationalistes non-coopératifs, sur la Commission Européenne, garante de la convergence des intérêts nationaux ?                    

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article