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Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Le théâtre financier

Vous n’avez rien compris des enjeux liés à la dernière crise financière ? Vous n’osez pas ouvrir un livre d’économie tant vous craignez d’être perdu au milieu des équations, termes techniques et autres anglicismes typiques du jargon financier ? Dans ce cas, vous prendrez plaisir à découvrir un ouvrage publié en 2011 qui propose une explication claire et limpide de la crise financière et de ses implications, tout ceci sous la forme d’une pièce de théâtre (D’un retournement l’autre, F.Lordon, Points/Seuil, 135p.).

Cette « comédie sérieuse sur la crise financière » signée Frédéric Lordon (membre des économistes atterrés et artisan du mouvement Nuit Debout) s’ouvre sur la prise de conscience par un banquier de l’ampleur des pertes liées à la crise des « subprimes ». Le constat est cinglant : les banques sont au bord de la faillite. En résumé, elles ont prêté beaucoup d’argent à des ménages à faibles revenus qui n’ont pu rembourser leur prêt. Dès lors, elles ont saisi les biens immobiliers de ces ménages en guise de compensation, afin de les revendre sur le marché immobilier. Mais tant de maisons ont été saisies par les banques que l’offre immobilière est devenue abondante par rapport à la demande, faisant chuter les prix de l’immobilier et empêchant les banques de récupérer le montant prêté initialement.

Cette spirale infernale a été renforcée par le fait que les banques ont pu, par la magie de l’innovation financière, s’assurer contre le risque de défaut des ménages en revendant les crédits accordés sous forme de titres (ce qu’on nomme la titrisation) à des investisseurs financiers (des assureurs comme AIG mais aussi d’autres banques comme Lehman Brothers) attirés par ces prêts risqués, puisque concernant des ménages peu solvables, mais terriblement rentables puisque les taux d’intérêt associés à ces prêts – donc les gains attendus par les investisseurs – sont très élevés. De telle façon que le risque associé aux crédits « subprimes » s’est diffusé aux différents acteurs financiers sous la forme d’une titrisation tellement complexe qu’il est devenu quasiment impossible d’évaluer précisément qui détenait au final le risque associé au crédit initial – et par conséquent de savoir qui devait faire les frais du non-remboursement de celui-ci… Bref (trêve de vocabulaire technique, c’est les vacances !), c’est la panique totale et aucune banque ne sait à quel saint se vouer pour en sortir.

On connaît l’histoire qui va suivre : en guise de saint, les banques se tournent vers les Etats pour qu’ils leur fournissent des liquidités devant mettre de l’huile dans les rouages de la machine bancaire. Sauf que pour ce faire, les Etats s’endettent et voient leurs propres comptes se dégrader : nationaliser de la dette privée se traduit naturellement par un gonflement de la dette publique. Mais, et c’est là qu’intervient le premier retournement, cette situation dégradée des comptes publics va mettre les Etats sous pression. En effet, les Etats se trouvant fortement endettés suite au sauvetage des banques, leur capacité de remboursement s’amenuise et leur risque de défaut grandit conduisant à une plus grande sévérité de la part de ceux qui leur prêtent l’argent… c’est-à-dire les banques elles-mêmes !

De ce retournement de la position des banques vis-à-vis de l’Etat – de dominées elles deviennent dominantes – naît tout le paradoxe de cette crise des « subprimes » qui n’aura finalement débouchée sur aucun mouvement de régulation très contraignante à l’égard des banques, alors même que les Etats doivent mener des politiques de rigueur drastiques sous la pression des banques afin d’effacer une dette émanant de l’aide – par ailleurs nécessaire – apportée au secteur bancaire. Ce paradoxe, qui montre à la fois la promiscuité des pouvoirs politique et financier et l’emprise du second sur le premier, va être le point de départ d’un second retournement initié par un acteur aussi puissant qu’inattendu tant son rôle est aujourd’hui considéré comme secondaire dans l’organisation politique et économique. Et si ce retournement final est prophétique, il n’en reste pas moins salutaire et réjouissant.

A la lecture de cette pièce de théâtre, on alterne donc entre le comique des personnages (banquiers, président, premier ministre…) et l’indignation face aux décisions qu’ils vont prendre pour défendre – en tout cas c’est ce qu’ils prétendent – l’intérêt général. On en ressort en ayant mieux compris les entrecroisements entre sphères politique et économique, ce qui contribue à accroître notre lucidité à leur encontre. Si ce livre ne fait pas dans la demi-mesure dans sa critique des puissants, il n’en reste pas moins un outil de réflexion indispensable pour comprendre les crises à venir…

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