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Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

En finir avec Eddy Bellegueule…

L’histoire d’Eddy Bellegueule, c’est d’abord l’histoire d’un corps : un corps soumis à la violence sous toutes ses formes. A travers un récit vif et sans filtre (En finir avec Eddy Bellegueule, Points/Seuil, 170p., 6,90 euros), Edouard Louis retrace son histoire et expose les raisons pour lesquelles il a voulu en finir avec Eddy Bellegueule – puisqu’il s’agit d’une seule et même personne – et avec ce corps qui lui a valu d’être moqué, frappé et humilié lorsqu’il était enfant. 

Eddy Bellegueule naît et grandit en Picardie dans un milieu social populaire où la virilité et l’affirmation de la masculinité constituent les sources de reconnaissance principales d’un univers où l’argent se fait rare et où l’école n’est que le chemin le plus court menant aux portes de l’usine du quartier. Très rapidement, Eddy se rend compte que ses attitudes, son gabarit et ses goûts l’éloignent des normes corporelles valorisées dans sa famille et, au-delà, dans son village. La violence connue par Eddy est d’abord sociale, omniprésente dans les regards qui lui sont adressés, les reproches formulés par ses proches et par les gens du village qui stigmatisent sa voix aigüe et sa démarche chaloupée. Cette violence devient verbale et physique au collège lorsqu’il doit essuyer les crachats, les insultes et les coups : « tarlouze », « pédé », « gonzesse » sont autant d’insultes qui accompagnent les claques, abimant dans le même mouvement son corps et son estime de soi.  Enfin, cette violence possède une dimension psychologique en ce qu’elle insinue dans l’esprit d’Eddy qu’il est anormal, en le faisant culpabiliser d’être celui qu’il est et ressentir de la honte à la vue de ce corps dont il voudrait se débarrasser.

Le sentiment de ne pas être à la hauteur des attentes sociales et de décevoir les siens constitue une blessure quotidienne qui n’a de cesse de s’étendre à mesure que la honte que ses proches – avec lesquels Eddy entretient néanmoins une relation affective sincère – ressentent face à son corps est de moins en moins dissimulée. Eddy est alors placé face à un dilemme : accepter son corps en continuant de subir les multiples violences dont il fait l’objet ou bien lutter contre ce corps pour être accepté par son milieu social. Alors, il décide de changer, de se débarrasser de ces manières qui le ridiculisent dans sa famille, dans la rue ou à l’école afin de devenir « normal ».

Dès lors, il prend garde de maîtriser ses mains qui s’agitent lorsqu’il prend la parole, s’intègre dans un groupe de « durs » de son collège, participe à leurs beuveries qui finissent à l'aube dans l’abribus du village, sort avec une fille. Ces faits d’armes participent à réhabiliter Eddy aux yeux de son entourage, ce dont il n’est pas peu fier ; mais tous ces efforts imposés à son corps vont être balayés par ses premières expériences sexuelles. Dégoûté par le corps des filles avec lesquelles il a des aventures, il ne parvient pas à avoir de relations sexuelles avec elles ; pire, il ne peut s’empêcher de ressentir du désir pour certains garçons croisés au cours de son adolescence. Son corps lui résiste, et toutes les initiatives prises pour l’enfermer dans les codes de son milieu social s’avèrent inefficaces. Aussi, n’en pouvant plus de lutter contre ce corps qui le ronge de l’intérieur et l’expose aux violences, Eddy prend la décision de rompre le lien qui l’unit à son milieu social : il profite de la possibilité qui lui est offerte de fréquenter un lycée de centre-ville accueillant principalement des enfants de milieux sociaux favorisés pour rompre le lien qui l’unit à son milieu social d’origine. Eddy Bellegueule cède alors la place à Edouard Louis.

A travers ce récit intimiste décrivant la tension entre « corps intérieur » et « corps social », Edouard Louis nous offre un portrait saisissant de la trajectoire d’un individu condamné à quitter son milieu social pour pouvoir affirmer sa sexualité sans culpabiliser de décevoir les siens. Une grande réflexion sur le poids des déterminismes sociaux et l’impossibilité d’en réchapper totalement…  

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