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Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Plus vite, plus haut, plus dopés…

Que vous soigniez vos insomnies à coup de jeux olympiques ou que vous ayez eu le malheur d’allumer votre ordinateur ce matin, vous n’avez pas pu manquer la déclaration pleine de tendresse et d’empathie du nageur français Camille Lacourt à propos d’un de ses comparses chinois : « Sun Yang, il pisse violet »… Lacourt sous-entend par-là que les performances de ce nageur, ainsi que celles de ses compatriotes, seraient sujettes à caution du fait qu’ils seraient dopés – ou « chargés » comme on dit dans le milieu. Alors, excès de vérité ou excès de frustration suite à une cinquième place dans la finale du 100 mètres dos qui laisse un goût amer dans la bouche de l’athlète français ? Mauvais perdant Camille Lacourt ? Pas si sûr au regard de l’état de la lutte contre le dopage dans le sport… Pour se faire une idée de la question, il faut absolument visionner un documentaire récent diffusé sur Arte (et disponible sur Youtube) intitulé « Plus vite, plus haut, plus dopés » (Arte, env. 100 minutes). Ce documentaire montre brillamment comment la lutte contre le dopage est empêchée par quatre principaux facteurs inhérents au fonctionnement du monde sportif.

Premièrement, s’il existe une agence mondiale antidopage (AMA), elle n’a aucun pouvoir d’enquête sur les sportifs afin de déterminer s’ils sont dopés ou non. Ce pouvoir est détenu par les fédérations internationales de chaque sport : par exemple, les contrôles anti-dopage dans l’athlétisme sont assurés par la fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Or, ceci est problématique parce que l’IAAF est également l’organisatrice des principales compétitions majeures d’athlétisme : elle doit ainsi veiller à attirer des sponsors pour les financer, à s’assurer de la médiatisation de ces évènements. Or, les sponsors sont d’autant plus nombreux et la médiatisation importante que ces évènements donnent lieu à une compétition de haut niveau entre athlètes connus et reconnus, avec des records et des performances de haut vol à la clé. Dès lors, l’IAAF a-t-elle intérêt à mener une lutte farouche contre le dopage au risque de se priver des athlètes les plus bankables ? Si l’on considère les pratiques de l’ancien président sénégalais de l’IAAF, on peut en douter : celui-ci entrait en contact avec des athlètes qui avaient été contrôlés positif et leur proposait de garder le silence contre rémunération pour qu’ils puissent continuer à participer aux épreuves internationales d’athlétisme. De même, si l’AMA possède des antennes dans plus de cent pays dans le monde, certaines se montrent très conciliantes : il en est ainsi de la Jamaïque dont les athlètes n’ont pas été contrôlés durant six mois avant les JO de Pékin en 2008, sans remontrance particulière de la branche jamaïcaine de l’AMA. Précision : la Jamaïque glane lors de cette compétition la plupart des médailles d’or sur les épreuves de sprint masculin et féminin (notamment le 100m avec Usain Bolt et Shelly-Ann Fraser). Coïncidence ?

Deuxièmement, le documentaire met en évidence le temps de retard permanent de la lutte anti-dopage ; autrement dit, les produits considérés comme dopants aujourd’hui sont ceux utilisés hier par les sportifs. Ceux-ci parviennent ainsi toujours à avoir un temps d’avance sur la recherche grâce à la complicité de médecins renommés qui ont préféré à l’éthique de la recherche le gain associé au dopage. On apprend ainsi que Lance Armstrong, cycliste américain déchu de ses victoires sur le Tour de France entre 1999 et 2005, rémunérait un médecin 100 000 euros afin qu’il lui fournisse les produits dopants, les produits masquant les produits dopant lors des contrôles et les produits luttant contre les effets secondaires des produits dopants ! Ces pratiques permettent ainsi aux sportifs de posséder une dizaine d’années d’avance sur les laboratoires d’analyse : ces derniers ont donc pris la décision de conserver durant dix ans les échantillons d’urine et de sang afin qu’ils puissent être analysés de nouveau au fil des progrès de la recherche en matière de dopage. Un moindre mal qui donne lieu à des situations sportives pour le moins baroques ; un expert affirme ainsi dans le reportage : « pour connaître les vrais podiums des JO de Rio en 2016, il faudra attendre 2026 ».

Troisièmement, la prégnance du dopage dans le sport (aussi bien dans l’athlétisme, le cyclisme, la natation, le football ou encore… le body-building) s’explique par l’intériorisation du dopage comme une pratique normale par les sportifs. Ceux-ci ne voient pas le dopage comme une pratique condamnable dans la mesure où un nombre important de leurs adversaires y ont recours. Le témoignage de Christophe Bassons est à ce titre éloquent : Bassons a été cycliste durant l’ « ère Armstrong » du dopage systématisé et a été un des rares à s’élever contre les pratiques qui se déroulaient sous ses yeux. Cela lui a valu d’être stigmatisé par l’ensemble des autres coureurs comme une « balance » et à devoir renoncer à une carrière professionnelle car il ne voulait pas utiliser de produits dopants. Il le résume dans une formule bien sentie : « La déviance était devenue la norme, et la norme était la déviance ». Dans un monde où la déviance devient la norme, il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi la pratique du dopage se généralise puisqu’elle ne donne lieu à aucune forme de contrôle social affirmé.

Enfin, le dopage risque de perdurer du fait de l’absence de protection pour les « lanceurs d’alerte », c’est-à-dire les sportifs qui décident d’avouer leur dopage et de dire ce qu’ils savent sur cette pratique dans leur domaine. C’est le cas de Yulia Stepanova, athlète russe spécialiste du 800m, qui est à l’origine de la découverte du système de camouflage du dopage mis en place par la fédération russe d’athlétisme. Les révélations de Stepanova ont permis à un journaliste de dévoiler les mécanismes complexes d’une machine bien huilée consistant à ce que les autorités russes remplacent les échantillons d’urine et de sang « dopés » par des échantillons « propres ». Or, non seulement Stepanova a écopé de la même sanction que les autres athlètes russes dont le dopage a été révélé suite à l’enquête, mais elle n’a bénéficié d’aucun soutien des institutions sportives afin de la protéger de possibles représailles. Contrainte de s’exiler, elle vit aujourd’hui dans la peur et craint pour sa vie tant le système qu’elle a contribué à mettre en lumière a éclaboussé jusqu’aux responsables politiques de son pays… Interrogée dans le reportage, elle considère que ce manque de protection accordé à « ceux qui parlent » n’est pas le meilleur moyen d’inciter à dénoncer les pratiques illicites dans le sport, et que cela montre aussi les pressions exercés par les Etats sur les instances sportives pour que ce type d’affaire ne fuite pas...

En visionnant ce documentaire, on gagne en lucidité ce que l’on perd en passion ; il a le mérite de lever ce voile d’ignorance (ou cette « fiction nécessaire ») qui nous fait croire aux exploits incroyables et admirer les athlètes qui les réalisent. Mais quand cette croyance s’évapore, quel sens donner aux performances sportives réalisées par ces athlètes ? Je vous laisse y réfléchir devant les JO…

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