Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les SES au Grand Air

Un blog de ressources pour les sciences économiques et sociales

Réformer l’Etat ? #5 : Pour un Etat minimal

La réforme de l’Etat est jugée nécessaire par les économistes libéraux du fait d’une incompatibilité entre son action et la liberté individuelle. C’est la thèse assez forte et originale d’un ouvrage de Milton Friedman (Capitalisme et liberté, Champs essais, 2010 [1962]), 314p.), économiste américain ayant obtenu le prix Nobel d’économie en 1976 et inspirateur des politiques néo-libérales menées par le Président Reagan dans les années 1980. La pensée économique de Friedman s’inscrit dans une philosophie libérale de l’individu, à savoir un individu qui doit pouvoir exercer librement ses choix et dont l’action doit être volontaire et non contrainte.

Pour cela, il considère qu’il existe un moyen économique optimal pour faire respecter la liberté individuelle : le capitalisme de marché. D’abord, parce que le mécanisme du marché permet la coordination de l’action d’individus volontaires ayant des besoins à assouvir pour certains et des biens à offrir pour d’autres : ainsi, les individus ne sont pas contraints à se rendre sur le marché mais il s’agit d’une opportunité pour eux d’y assouvir librement leur action de consommation ou de vente. Ensuite, le marché impose une concurrence entre les producteurs qui est là aussi bénéfique puisqu’elle assure que les consommateurs auront accès à un choix varié dans les biens et services qui leur sont proposés, et cela au meilleur prix puisque l’offre est abondante et qu’elle n’a de fait que peu de moyens de fixer un prix différent de celui établi par le marché – le prix d’équilibre.

Selon Friedman, le capitalisme de marché permet de protéger la liberté individuelle et l’Etat ne doit intervenir uniquement lorsque cette dernière est menacée : c’est pourquoi il considère qu’une fonction nécessaire de l’Etat est le maintien de l’ordre et de la loi. Autre fonction qui doit être assurée par l’Etat, celle de la fixation des règles qui encadrent le marché (droits de propriété, contrats entre offreur et demandeur principalement) et de la vérification de leur respect. Enfin, Friedman considère qu’il existe deux situations où l’intervention de l’Etat dans l’économie est légitime : premièrement, l’Etat peut intervenir dans les secteurs où existe un « monopole technique » (ou monopole naturel), c’est-à-dire lorsque les coûts fixes liés à l’exploitation d’un bien sont si élevés et les gains potentiels si faibles qu’ils dissuadent tout entrepreneur privé de le produire : c’est le cas par exemple de l’entretien des lignes de chemin de fer ou encore du contrôle du réseau de distribution du courrier.

Deuxièmement, l’Etat peut intervenir dès lors que la production d’un bien ou d’un service est soumis à un « effet de voisinage » (ou externalité), c’est-à-dire lorsque la mise à disposition d’un bien profite (ou nuit) à des individus sans qu’il soit possible de faire payer (ou de rémunérer) ces individus en contrepartie du gain (ou du coût) associé. Friedman prend l’exemple d’un parc municipal : il est difficile d’évaluer et d’identifier les gens qui profitent de cet espace et de leur faire payer les avantages qu’ils en tirent. Les gens qui habitent le long du parc et dont les fenêtres donnent sur celui-ci en profitent, tout comme ceux qui le traversent à pied ou le longent ; mettre des receveurs aux portes ou imposer annuellement les habitants dont les fenêtres ont une vue sur le parc coûterait cher et serait difficile à mettre en œuvre. Aussi l’Etat doit là encore prendre en charge la production de ce type de bien.

Si Friedman n’est donc pas réticent à l’existence d’un Etat, il se montre néanmoins très méfiant vis-à-vis de la tendance que possèdent ceux qui le gouvernent à vouloir étendre systématiquement son action de secteurs où il est légitime qu’il intervienne, à d’autres où son action est souvent contre-productive et inefficace. Or, nous dit l’auteur, lorsque le périmètre d’action de l’Etat s’étend à des enjeux qui dépassent le strict cadre évoqué plus haut, le périmètre des libertés individuelles a tendance à se réduire. En effet, lorsque l’Etat ne se limite plus à sa fonction de garant du capitalisme de marché, il est un instrument de coercition qui conduit tous les individus à devoir se conformer à un cadre d’action imposé par des gouvernants soucieux de satisfaire aux intérêts d’une majorité de la population ; dès lors, s’exerce sur une minorité de la population une tyrannie de la majorité (Tocqueville) qui la conduit à renoncer à agir telle qu’elle l’aurait voulu pour se conformer aux souhaits de la majorité.

Friedman donne notamment deux exemples concrets de cette extension du domaine de l’Etat qui peut nuire à la liberté individuelle. D’abord, il montre que l’Etat est légitime pour intervenir dans l’éducation car celle-ci possède des « effets de voisinage » : il est bon pour l’intérêt général que l’Etat fixe un niveau de scolarité minimale et détermine des contenus d’enseignement qu’il est obligatoire de maîtriser. Mais cela signifie-t-il que l’Etat est légitime à « nationaliser » le système éducatif ? Friedman ne le pense pas : il considère au contraire que « la nationalisation de l’industrie de l’éducation » tend à limiter la variété du choix proposé aux parents, et que les subventions attribuées – dans le contexte américain de l’époque – à certaines écoles (publiques) plutôt qu’à d’autres (privées) s’apparente à de la concurrence déloyale. Il considère que ces dépenses d’éducation, plutôt que de subventionner un type d’écoles, devrait être directement distribuées aux familles afin de donner à celles-ci la possibilité d’utiliser cet argent pour inscrire leur enfant dans le type d’école de leur choix.

De même, Friedman considère le fait d’obliger les individus à devoir cotiser auprès de l’Etat pour assurer le financement d’une pension de retraite. Friedman y voit une intrusion de l’Etat dans le choix de vie d’individus qui peuvent délibérément vouloir profiter de leur argent dans le présent en renonçant à établir des réserves pour l’avenir. Dès lors, comment justifier que ces individus soient dans l’impossibilité d’exercer ce choix et de devoir se conformer au système de cotisation mis en place par l’Etat ? Et quand bien même ce système serait justifié, comment comprendre la nationalisation de ce système par l’Etat ? Pourquoi celui-ci ne permet pas aux individus de pouvoir souscrire (ou non) une assurance-vieillesse à leur goût sur le marché plutôt que d’imposer à tous une même assurance standard ?

Tout au long de son ouvrage, Friedman dénonce ardemment le système d’aide sociale pour ses coûts de fonctionnement qu’il juge exorbitant, le système fiscal progressif qui constitue un frein majeur au dynamisme de l’économie en dissuadant les individus d’entreprendre, et le système de politique sociale de salaire minimum qui aurait pour effet pervers de pénaliser les familles les plus pauvres dont les employeurs doivent se séparer lorsque leurs salaires augmentent sous l’effet de cette mesure. Au lieu d’employer les moyens financiers de l’Etat dans le financement de structures d’aide sociale coûteuses, Friedman estime qu’il serait préférable de verser l’argent utilisé pour le fonctionnement de ces structures directement aux ménages afin qu’ils puissent utiliser ces subsides librement. Enfin, il n’hésite pas à égratigner la théorie keynésienne du multiplicateur qui est favorable à l’intervention de l’Etat : il montre justement que l’augmentation des dépenses publiques peut ne pas conduire à une hausse des revenus, par exemple si cette injection de liquidités se traduit par une hausse des prix qui annihile l’effet de cette mesure et la rend inefficace.

La lecture de cet ouvrage est donc instructive en ce qu’elle montre une perspective de réforme de l’Etat singulière, et engagée dans une philosophie libérale assumée. Néanmoins, elle possède aussi les limites de ne faire que peu de cas des structures sociales de l’économie et de sous-estimer que les individus peuvent ne pas agir « librement » du fait de leur position sociale. En témoigne cette phrase édifiante par son ignorance du fait sociologique : « La plupart des différences de statut, de position ou de fortune peuvent, à un plus ou moins grand degré, être considérées comme des produits du hasard ». Un livre très instructif sur la philosophie libérale en économie mais qui doit être lue avec le regard critique du sociologue !

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article